mercredi 28 octobre 2020

Les déceptions de Fanny

Elle s'appelait Fanny Flis, née Tesler. C'était une femme belle, blonde et élégante. qui faisait de la discrétion la première de toutes les vertus. Un signe de bonne éducation ? Sans doute. Mais aussi une volonté de se fondre dans la masse. A l'instar de son mari Albert, elle avait à coeur d'être "une vraie Française". Comme s'il fallait à toute force faire oublier les origines de leur famille respective : russe pour elle, roumaine pour lui, pauvres et juives des deux côtés. De l'union de ce couple amoureux naîtront cinq filles. L'aînée deviendra un jour célèbre sous le nom de Sonia Rykiel.  

Une relation passionnelle 

Entre Fanny et Sonia, rien ne sera jamais simple. D'emblée, leur relation se vit sous le signe de la déception maternelle. A la naissance de sa première fille, Fanny fait face à une double désillusion : celle de ne pas avoir enfanté de garçon, et celle de ne pas trouver son bébé joli. J'étais comme rouillée, couverte de tâches de rousseur, raconte Sonia, et pour me dérouiller, toute petite, ma mère, à l'aube, m'emmenait me laver le visage dans l'herbe rosée du matin".*  En réaction, la gamine cultive sa singularité et refuse les robes à smocks que veut lui imposer sa mère. Les choix vestimentaires donneront lieu entre elles à des scènes homériques. "Les conflits avec maman étaient fous. Elle me regardait, ébahie, affolée d'avoir pu mettre au monde un "monstre". Souvent, elle essayait de me parler, de me raisonner, mais je ne l'écoutais pas. Alors elle se mettait dans des colères terribles. En même temps, elle cultivait en moi cette différence. Elle me mettait dans un contexte de dépassement, de surpassement. Elle était fière de moi, de mes cahiers, fière que je sois toujours la première en classe, fière que je n'aie pas peur, fière que je lui tienne tête, que je lui résiste. Fière que j'existe."

Les livres et le tricot en partage

Car Fanny révère le savoir et la littérature. Même si elle n'a pas fait d'études, elle lit beaucoup, énormément même, et s'efforce de transmettre à ses filles son amour des livres. Mais même de ce côté-là, elle sera déçue par sa fille aînée.  A l'adolescence, la bonne élève arrête de travailler, trop intéressée par le mystère du sexe opposé. "Ma mère était une intellectuelle, elle voulait que je devienne écrivain, je l'ai trahie en échouant au bac et en refusant de redoubler (...) C'était terrible de ne pas être un garçon, de ne pas réussir mon bac, de ne pas être écrivain, je n'en pouvais plus de l'attrister ainsi. Je suis devenue une jeune fille dure, difficile, violente. Nos rapports devenaient féroces." Vingt ans plus tard, Sonia Rykiel se lance dans la mode avec le succès que l'on sait. Elle rend alors hommage aux passions de sa mère en mettant des livres dans ses vitrines, en écrivant elle-même et surtout, en faisant du travail de la maille sa marque distinctive. Une manière de poursuivre à sa manière le savoir-faire de Fanny "Maman, je l'ai toujours vue tricoter. Ele était le tricot même, enroulée de pelotes et de ses filles". La petite fille trop rousse aura passé sa vie à crier à sa mère : "Aime-moi!" Il n'est pas sûre qu'elle ait jamais été entendue...  

Citations de Sonia Rykiel extraits de "Et je la voudrais nue", publié chez Grasset en 1979. Pour en savoir plus : Sonia Rykliel, de Sophie Guillou et Alice Dufay, Les petites moustaches, 2017

samedi 24 octobre 2020

Danser pour être libre

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 Regardez-le comme il vole, comme il vire, garçon-toupie ivre de danse et de la liberté qu'elle donne ! On voudrait pouvoir planer avec lui,  dans cet arrachement fugace à la pesanteur.

Kibuuka Mukisa Oscar aime à dire qu'il veut "donner le sourire au monde". Et c'est plus que réussi. Depuis 2010, ce photographe autodidacte suit l'évolution du breakdance sur le continent africain. Dans son pays, l'Ouganda, mais aussi au Congo, au Rwanda, au Kenya, en Tanzanie... Ses images rendent hommage à la beauté du mouvement, tellement jubilatoire ; mais elles suggèrent aussi combien cette culture représente une source formidable d'émancipation  pour les filles et les garçons qui la pratiquent. Kibuka Mukisa Oscar capture l'instant suspendu avec une netteté qui lui donne une force quasi surréelle. Et, oui, on retrouve le sourire devant cette vitalité incroyable, saisie au détour d'un marché de Kampala ou dans l'espace désert d'un faubourg rural. Comme un transfert d'énergie positive, bien précieuse en cet automne morose et anxyogène...

"Breaking in Africa" est à voir au Festival photographique "L'oeil urbain", à Corbeil-Essonnes, jusqu'au 29 novembre 2020. Programme téléchargeable en ligne. En tout, une douzaine d'expositions disséminées dans toute la ville, qui offrent une fenêtre passionnante sur l'Afrique subsaharienne, dans sa diversité et sa complexité. 

Je vous conseille aussi un petit détour par le blog de Kibuuka Mukisa. Oscar : kibuukaphotography.blogspot.com. et par son compte Instagram (@kibuuka_mukisa). 



 


lundi 24 juin 2019

La force tranquille d'Aïcha

Aïcha, de Felix Vallotton (Détail), 1922, coll. particulière
Depuis quelques semaines, elle trône en majesté dans l'exposition sur le modèle noir à Paris. De tous, de toutes, c'est ma préférée. Aïcha Goblet fut une figure du Montparnasse bohème des années 20, peinte à la fois par Kiesling, Matisse, Van Dongen, Foujita, Vallotton... Comment s'en étonner ? Il émane de cette femme une autorité tranquille, une douceur inflexible et l'expression d'une liberté intérieure qui l'illumine tout entière. Peut-être un héritage de sa première vie : avant de devenir modèle, elle fut écuyère dans un cirque. A la contempler sans en épuiser le mystère, j'y vois un magnifique résumé de cette exposition. De la servitude à la liberté, du stéréotype à l'individu, de l'objet sexuel à la femme qui choisit... Ce chemin-là, semé de clichés séculaires, n'est pas encore achevé. Aïcha nous montre superbement la voie. 

"Le modèle noir, de Géricault à Matisse" au musée d'Orsay, jusqu'au 21 juillet. 

vendredi 21 juin 2019

Un corps libre

Que savons-nous des gens du passé ? Que savons-nous de leurs pensées intimes, de leurs désirs, des interdits et des tabous qui les entravaient, des images qui les faisaient rêver ? C'est la question qui m'a traversée quand je suis tombée sur cette couverture splendide de Vogue en cherchant une image pour célébrer la venue de l'été. En juin 1934, un corps cuivré exalte le bonheur de bronzer au soleil, seins nus, sur une plage.
1934, vraiment ? Cela ne cadre pas avec ce que j'imaginais de cette époque. Mais c'est oublier, sans doute, que les années folles ne sont pas si loin. C'est oublier surtout que notre réflexe est trop souvent de regarder le passé comme en surplomb, du haut d'une supposée supériorité du présent, qui serait plus ouvert, moins pudibond, plus libre. Singulière distorsion du regard... Aujourd'hui, les réseaux sociaux déversent à la pelle des autoportraits de lolitas, cambrées dans la même pose lascive, mais censurent le moindre sein qui passe. A chaque époque ses images de liberté. En ce qui me concerne, j'ai une nette préférence pour la sirène nature dessinée par Georges Lepape.
Sur ce, bel été à tous ! 

jeudi 6 juin 2019

Adrienne, le G3 et moi

Je vais le dédicacer pour la première fois... et j'ai un peu les jetons. La folle équipée d'Adrienne, mon nouveau roman pour la jeunesse, est sorti depuis plusieurs semaines déjà. Mais samedi et dimanche, il connaîtra une forme d'apothéose : être présenté à la fête aérienne de la Ferté-Alais. Et il s'agira d'être à la hauteur.
Parce qu'à ce grand rendez-vous des fous volants, il y a aura beaucoup de monde. L'an dernier, 40.000 personnes sont venues admirer les vieux coucous et les démonstrations. Mais surtout parce que s'y trouvera un avion très cher à mon coeur : le Caudron G3. C'est une réplique parfaite du modèle sur lequel Adrienne Bolland traversa la Cordillère des Andes, en 1921.
Or, le voir, c'est ne pas croire à cette histoire. Comment diable a-t-elle pu résister aux vents rabattants, au froid glacial, au manque d'oxygène à bord de cette libellule de bois et de toile ? J'ai beau avoir écrit ce livre, je reste médusée à chaque fois que je le vois voler et que je m'imagine Adrienne dedans. 

Caudron G3 en vol
Alors il faudra assurer. Alpaguer le curieux pour le convaincre de cette histoire et transmettre le souvenir d'Adrienne Bolland. Son nom n'est pas resté dans les mémoires et on se demande bien pourquoi. Moi, depuis que j'ai fait sa connaissance, j'ai l'impression de m'être fait une copine. Pas toujours commode, mais follement généreuse. J'aimerais bien que ce livre contribue à lui rendre justice. Le G3 devrait m'y aider. Pourvu que la météo soit bonne et qu'il puisse prendre son envol..


Le Temps des hélices, 8 et 9 juin à l'aérodrome de Cerny, en Essonne. Je serai en dédicace tout le week-end sur le stand de l'AJBS. 

lundi 27 mai 2019

Une rencontre

                                                         


Il arrive qu'une oeuvre vous oblige à vous arrêter, même quand ce n'est pas elle que vous étiez venue voir. Elle s'adresse à vous, elle vous envoie un message que vous n'êtes pas sûre de comprendre, mais qui vous enjoint de rester longuement face à elle, dans un dialogue        silencieux. 
 C'est le cas de cette Madone à l'enfant découverte un après-midi de pluie au musée des Beaux Arts de Lyon. Je ne sais pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre. Sans doute sa présence dense, charnelle, encore réchauffée par la couleur de la terre cuite dans laquelle elle est modelée. Ou alors son intériorité insondable et mélancolique, qui contraste avec l'insouciance de l'enfant. 
Tout ce que je sais d'elle, c'est qu'elle a été sculptée en Italie du nord au début du 15ème siècle par un artiste dont on ignore le nom. J'aurais aimé en savoir plus, elle me paraissait tellement mystérieuse, j'ai tourné plusieurs fois dans la salle sans me décider à partir. J'ai fini par la laisser à son enfant, vaincue, un peu jalouse peut-être. Si vous avez la chance de la voir, dites-lui que je pense souvent à elle... 

mercredi 15 mai 2019

Ecole buissonnière

Ce matin, j'ai séché le boulot.
J'avais pourtant commencé ma journée bien comme il faut, assise à l'heure à mon bureau après avoir expédié les affaires courantes.
J'ai beau ne pas avoir de chef sur le dos, j'ai gardé des habitudes de bonne élève.
Mais derrière la vitre, le ciel était trop bleu. Il m'est revenu que dans les chemins creux, j'avais aperçu l'autre jour des seringas en bouton. Et j'ai filé à l'anglaise, un sécateur à la main.
C'était délicieux. Délicieux le chant des oiseaux, délicieuse la danse des graminées dans le vent, délicieuse la terre du chemin sous le pied, ameublie par les pluies de la semaine passée... Ivre de lumière, j'ai cueilli des brassées de fleurs, genêt et seringa, ça sentait si bon.. Et puis j'ai rencontré un chat en vadrouille. Dans son regard d'opale, j'ai lu comme un reproche. A l'évidence, je le dérangeais dans sa solitude. J'ai d'abord souri, et puis je lui ai donné raison.Je n'avais pas à être là.
J'ai tenté intérieurement de me défendre. Je ne fais de tort à personne en désertant mon poste de travail. Mon roman avancera juste un peu moins vite, voilà tout. Peut-être même qu'après, mon efficacité redoublera, dopée par la nécessité de rattraper le temps perdu. Piteuses excuses, auxquelles je ne crois pas moi-même. Et d'ailleurs, c'est mieux ainsi.  Sans doute l'école buissonnière ne peut-elle se goûter sans cette pointe de culpabilité. Le plaisir quand il est coupable, prend souvent une saveur supplémentaire. Le pêché, aujourd'hui, avait le parfum du seringa. Ce parfum qui embaume en ce moment-même tout mon bureau et me chuchote que l'âme est faible et que l'échappée fut bien belle... 


Les déceptions de Fanny

Elle s'appelait Fanny Flis, née Tesler. C'était une femme belle, blonde et élégante. qui faisait de la discrétion la première de tou...