lundi 10 décembre 2018

Le charme désuet du bigoudi


L'autre jour, en sortant du métro Concorde, je suis tombée en arrêt devant un lion qui montait la garde. En contre-plongée, dans la lumière du matin, sa crinière de pierre dessinait des boucles voluptueuses, savamment ourlées. Je me suis surprise à penser (si tant est que "penser" s'applique à cet état flottant de conscience qui caractérise la promenade en solitaire) : "on a dû lui mettre de beaux bigoudis, à ce lion, pour qu'il arbore une si belle mise en plis"...


Et voilà que, sans prévenir,  mon enfance déboule au grand galop. Parce que les bigoudis et la mise en plis, c'était l'apanage de ma grand-mère. La nature ne l'ayant pas dotée d'une crinière comparable à celle du lion de la Concorde, Léontine s'efforçait avec courage de maintenir une illusion de volume avec les quelques fils qui lui tenaient lieu de cheveux. Les bigoudis lui permettaient de créer autour de sa tête un halo vaporeux couleur caramel, qu'elle maintenait discrètement avec un filet de la même teinte. Parfois, quand je l'embrassais avec trop de vivacité, mes lunettes s'accrochaient dans cette toile invisible, gardienne du précaire édifice capillaire qui avait demandé tant d'efforts. "Attention ! Mon filet !" s'alarmait-elle d'une voix grondeuse, mais ravie au fond de se faire ainsi bousculer.

Si tout à coup, cette scène du passé me rattrape avec autant de force, c'est peut-être parce que les mots ont un âge, eux aussi. Ma grand-mère usait de ceux de sa génération. Elle ne disait pas "chaussures", mais "souliers". Elle n'allait pas faire des courses, mais ses commissions. Elle ne regardait pas le journal télévisé, mais le bulletin.
Et elle mettait des bigoudis.
Réutiliser ces mots, c'est comme réentendre une petite musique oubliée, retrouver le goût de la madeleine trempée dans le thé du côté de chez Swann. Et je me demande, si un jour je suis grand-mère, quels mots d'aujourd'hui se rappelleront mes petits-enfants avec une tendresse amusée. Les mots désuets, les mots si jolis d'une époque révolue.

lundi 12 novembre 2018

Sortir des limbes

Photo : Sarah Moon 
Ce n'est plus une vague idée qui flotte à la lisière des mots. Au fil des semaines, l'intrigue s'est précisée, les personnages aussi. Les premières recherches ont circonscrit une époque et des lieux. Il ne reste plus qu'à passer à l'action. Ecrire.
Le moment est à la fois exaltant et difficile. Cela fait déjà plusieurs jours que je recule devant le grand saut. Car en se coltinant à la matière résistante du réel, on s'expose forcément à la déception. Il faut briser le rêve ténu du roman parfait. Sortir du flou, c'est risquer la chute.
Au bout du chemin, que l'on pressent long et semé d'embûches, on ne se souviendra plus très bien de cette ébauche vaporeuse qui a alimenté tant de songes. Elle aura été effacée par le roman achevé, moins beau que ce qu'on avait imaginé, mais plus riche des doutes, des ratures, de toutes les idées qui viennent en chemin et qu'on n'avait pas prévues. Il faut maintenant partir à la rencontre de cet inconnu. Et pour cela, renoncer à un idéal qui n'existera jamais...

samedi 3 novembre 2018

Perdue dans le triangle des Bermudes


Elle visitait l'expo de Willy Ronis avec sa mère et sa petite soeur. C'est du moins ce que j'ai imaginé. Onze ans, peut-être douze, une réserve grave, des yeux rêveurs. Pendant que sa soeur papillonnait d'une salle à l'autre, elle portait une attention sage aux photos et aux petits films qui jalonnaient le parcours. Et puis elle est tombée en arrêt devant un cliché de nu. Elle n'a pas cherché à cacher sa curiosité. Elle est restée une bonne minute, immobile, à scruter l'image, comme aimantée par ce corps sans tête.
Je me suis demandé à quoi elle pensait. Voyait-elle dans cette femme un être semblable à elle ou, au contraire, trop différent ? Une promesse d'avenir ou une vague menace ? J'ai essayé de me souvenir de moi au même âge. Je n'ai pas vraiment réussi. Et j'ai fini par me perdre, moi aussi, dans ce petit triangle noir des Bermudes. L'énigme insondable d'un sexe féminin. 

dimanche 28 octobre 2018

Ensemble et séparément

"Deux personnages - la lecture", de Pablo Picasso (1934)
L'idée m'est venue en voyant mon lycéen de fils peiner dans la lecture de l'Education sentimentale, qu'il doit lire en intégralité. Cinq cents pages au bas mot... Au bout de dix jours, il avait tout juste fini le premier chapitre. Alors, pour l'aider à s'y plonger vraiment,  je lui ai proposé d'instaurer un temps de lecture commun : une demi-heure chaque jour, à proximité l'un de l'autre, chacun dans son livre. A ma grande surprise, il a accepté. Dans le jardin les jours où il faisait beau, dans le salon, dans la cuisine, nous expérimentons cette communauté singulière : lire ensemble et séparément. C'est une parenthèse suspendue, dans le silence seulement troublé par le froissement léger des pages que l'on tourne. Moi, grande lectrice depuis toujours, j'attends ce moment avec impatience. J'espère secrètement que, parfois, mon fils l'apprécie aussi...

lundi 15 octobre 2018

L'esprit des lieux


Dentelle mousseuse et balconnet pigeonnant : certains modèles imaginés par Azzedine Alaïa pour sa collection printemps/été 1992 laissent échapper sous une apparente modernité un délicieux parfum 18ème siècle. 
Ce n'est pas une inspiration surgie de nulle part. A l'époque, le créateur vient d'acquérir un îlot de bâtiments anciens en plein coeur du Marais pour y installer son atelier, ses bureaux et son domicile. Au moment des travaux, il effectue des recherches sur ces lieux et découvre que 250 ans plus tôt, ils furent fréquentés par une jeune inconnue nommée Jeanne-Antoinette Poisson. Elle y apprenait les "arts d'agrément". Enseignement sûrement très fécond pour celle qui deviendra la marquise de Pompadour. C'est en hommage à cette figure mythique de l'histoire de France qu'Alaïa créa sa collection. Une exposition conçue par Olivier Saillard nous retrace sa genèse. L'occasion de découvrir les lieux mêmes qui ont inspiré le couturier, de voir "en vrai" des modèles immortalisés par des photos de mode de l'époque... et aussi de rêver à la muse invisible qui l'inspira, exquise marquise à la tête bien faite qui sut asseoir son pouvoir à Versailles à la force de sa beauté, mais aussi de son esprit.  L'Alchimie secrète d'une collection, jusqu'au 6 janvier 2019, Galerie Azzedine Alaïa, 18 rue de la Verrerie, 75004 Paris

mardi 30 janvier 2018

Les bonnes résolutions de Lucy


Une nouvelle année, c'est l'occasion de repartir d'un bon pied. Surtout quand on a tendance à glisser les-dits pieds dans la même chaussure. Devenue lycéenne, Lucy a décidé de tutoyer la perfection. Voici ses dix bonnes résolutions pour 2018. Quoi ? Il y a déjà un mois qu'elle est commencée, l'année ? Et alors ? Excusez-moi, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire... 





1- Prendre soin de la planète, parce que c'est méga-important. DONC : plus de bain brûlant le dimanche matin, sauf cas de dépression aiguë, de love catastrophe ou de clash violent avec ma soeur, ce boulet.
2- Perdre 3 kilos 4 kilos. Supprimer pain-pâtes-fromage-pizzas-burgers-kebabs-gâteaux-chocolat. Enfin, un jour sur deux, sinon, je vais me pendre.
3-Lire l'intégrale de Marcel Proust. Hier, un mec en Terminale L, avec des yeux à tomber, en parlait au self avec un pote. Il disait que c'était de la bombe (enfin, c'est surtout lui qui est de la bombe).
4- Quand j'en aurai fini avec Marcel, aborder le Terminale-aux-yeux-d'acier pour en discuter amicalement avec lui. Voire plus si affinités.
5- Me remettre au sport. La natation, c'est mort, le hip-hop, on oublie : pas envie de me refaire un torticolis. Peut-être le tae-kwan-do ? Ca peut toujours servir en cas de drague relou.
6- Trouver un petit boulot pour gagner de la thune. Livreuse de pizza à vélos ? Distributrice de flyers ? Bof. Brancher Jessica sur le sujet. Elle aura sûrement une idée.
7- Etre gentille. C'est très tendance. Gentille mais pas niaise non plus, faut pas pousser.
8-Me faire un tatouage. Une mouette sur l'épaule. Ou alors une licorne en bas du dos.
9-Etre présente sur les réseaux sociaux, mais pas trop. Genre la meuf qui n'a pas besoin d'un million de likes pour survivre. Bref, garder sa dignité.
10- Arrêter de remettre au lendemain ce que je peux faire tout de suite.
Donc, commencer par rapporter immédiatement cette tablette de chocolat dans le placard de la cuisine, même s'il ne reste plus que deux carrés. Euh, plus qu'un.
Bon, mettre l'emballage dans la poubelle verte. Cette année, promis, je trie mes déchets. Ce qui me ramène à ma résolution n°1.
Finalement, c'est plutôt cohérent, ce programme.

mardi 16 janvier 2018

Le bal de Cendrillon




Bien sûr, tout dans cette exposition était exceptionnel : sa superficie, courant sur les deux ailes du musée des Arts décoratifs ; sa scénographie, variée, inventive, grandiose ; l'accumulation des objets offerts aux regards, innombrables, telle une poésie surréaliste où les oeuvres d'art voisinent avec les robes du soir, où les peintures tutoient les chaussures, où la beauté se niche dans les moindres détails.
Mais le succès de l'expo Dior n'en est pas moins incroyable :  plus de 700.000 visiteurs, soit le double de ce qui était attendu, certains prêts à piétiner quatre heures sous la pluie dans le vacarme des moteurs et les gaz d'échappement de la rue de Rivoli... Quelle promesse les faisait rester, patients et têtus, sur ce bout de trottoir ?
La réponse est peut-être dans le titre de l'affiche : "Christian Dior, couturier du rêve".  Oui, la haute couture a ce pouvoir de nous transporter dans une dimension autre, qui n'est plus tout à fait la réalité. Parce qu'elle est rare, à peine entrevue dans les pages des magazines. Parce qu'elle est un luxe que bien peu d'entre nous peuvent s'offrir. Parce que, pour quelques minutes, face à une robe du soir miroitant de cristaux, nous sommes Cendrillon avant le bal, prête à la métamorphose... Et peu importe au fond que ce bal n'ait jamais lieu. Il est sans doute encore plus beau de n'exister que par la force de notre imagination. Il suffit d'une citrouille pour faire un carrosse et d'une salle de musée pleine de fleurs en papier pour redevenir un enfant. 

mercredi 3 janvier 2018

Le nouvel agenda

Il attendait depuis plusieurs semaines dans un tiroir que 2017 prenne ses cliques et ses claques. Un jour de novembre, j'avais craqué pour le trait bleu de Maurice Denis, la texture veloutée de la couverture et les trésors des pages intérieures, des fragments de poèmes, des estampes, des copies de manuscrits, transformant le fil des jours en guirlande de petits bonheurs.
Aujourd'hui le voilà sur mon bureau et dans mon sac, enfin légitimé par le calendrier. Ravie, je le caresse, retrouvant sous mes doigts le plaisir enfantin du cahier neuf. Le cahier neuf, comme l'agenda nouveau, c'est la promesse de tous les possibles à venir, l'illusion que cette année, on va faire les choses bien. A fond. Sans une rature ni un pâté, sans que les pages ne se cornent ni ne se déchirent... Bien sûr, au fond de soi, on n'est pas dupe. On sait bien que ce n'est pas possible. On soupçonne même que ce sont les ratures qui rendent parfois la vie si précieuse. Mais en ce trois janvier, le temps a encore l'aspect d'une feuille blanche, lisse et candide. Et cela me procure une certaine allégresse... Bonne année à tous !

Les déceptions de Fanny

Elle s'appelait Fanny Flis, née Tesler. C'était une femme belle, blonde et élégante. qui faisait de la discrétion la première de tou...