lundi 22 avril 2019

La belle absente

Mariée à l'éventail, 1911

"Son silence est le mien. Ses yeux, les miens. C'est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir ; comme si elle veillait sur moi, me devinant de plus près, bien que je la voie pour la première fois. Je sentis que c'était elle ma femme. Son teint pâle, ses yeux. Comme ils sont grands, ronds et noirs ! Ce sont mes yeux, mon âme."
Voilà comment Chagall raconte sa première rencontre avec Bella. Amour fou, immédiat, d'une évidence foudroyante. L'année suivante, il part à Paris, où il peint une "Mariée à l'éventail" nimbée de bleu. Il y a de la pureté, mais aussi de la mélancolie dans ce profil. Les yeux baissés, elle attend. Chagall imagine-t-il Bella épouser un autre que lui ? Ou est-ce le poids de l'absence qui donne à son pinceau tant de nostalgique douceur ?
Il peindra tout au long de sa vie beaucoup d'autres mariées, aériennes et blanches. Mais celle qui m'émeut le plus, c'est celle-ci, la promise lointaine dont on rêve sans être sûr qu'on la reverra un jour... 

lundi 15 avril 2019

Comme une photo de Saul Leiter


Certaines journées d'écriture ressemblent à une photographie de Saul Leiter : incertaines, traversées d'ombres et de reflets qui se jouent de la réalité et la rendent insaisissable. Ce qu'on s'évertue à poursuivre se dérobe, les mots deviennent pesants, inaptes à produire une phrase qui sonne juste.

Peut-être faudrait-il alors s'arrêter d'essayer, éteindre son écran d'ordinateur et se laisser absorber par tout ce flou, en espérant que le halo de buée finira par disparaître et que demain on y verra plus clair.

Restera toutefois le regret lancinant de ne pas avoir su user du langage comme Saul Leiter de son appareil photo. De ne pas avoir réussi à capter cette forme subtile de vérité : celle qui nous frôle, fugace, et vite, s'enfuit avant qu'on ait eu le temps de lui donner un nom...


jeudi 11 avril 2019

Quelle connerie, la guerre...

Cheval et âne, de Franz Marc (détail)

Des edens gorgés de lumière, des chevaux rêveurs, des femmes douces et graves, des forêts comme des cathédrales... Au musée de l'Orangerie, "L'aventure du cavalier bleu" nous invite à découvrir deux peintres allemands méconnus en France : Franz Marc et August Macke. 

Au début, on a un peu tendance à les confondre. Qui est Macke ? Qui est Marc ? Dans l'exubérance des couleurs et des formes qui éclabousse les murs, on perçoit d'abord un même élan et un même attrait pour la nature. Au fil du parcours, on apprend cependant à distinguer l'irréductible singularité de ces deux amis au nom si proche. A l'aîné (Marc), l'exaltation d'un paradis perdu, teintée de spiritualisme ; au plus jeune (Macke), une sensualité discrète et contemplative. 
Trois dames avec des chapeaux, d'August Macke (détail)

Toutes les toiles composent un régal pour l'oeil, irradiant de vigueur et témoignant d'une urgence commune à se saisir de multiples influences pour inventer un nouveau langage. August Macke et Franz Marc pressentaient-ils qu'ils avaient peu de temps devant eux ? Pendant la grande Guerre,, les deux amis tomberont sous la mitraille, scandaleusement jeunes. On enrage à l'idée de tous les tableaux qui auraient pu voir le jour si ces deux-là avaient continué à vivre. A la sortie de cette lumineuse expo, un vers de Prévert me trotte avec obstination dans la tête : "Quelle connerie, la guerre". 

mardi 9 avril 2019

Emportée par la foule...




"A perte de vue, les rues moutonnent d'une foule compacte, une mer de visages tendus vers elle dans une expression d'admiration muette et, par-dessus, des chapeaux qui flottent comme des bouchons sur l'eau. L'ambiance est électrique et vibre d'une attente fiévreuse."


Ces quelques lignes sont extraites de La folle équipée d'Adrienne, mon dernier roman pour la jeunesse. Elles relatent ce qui s'est passé le 9 avril 1921, et dont, curieusement, la trace s'est évaporée dans la mémoire collective. Ce jour-là, l'"intrepida aviadora Mlle Bolland" revient à Buenos Aires après avoir traversé la Cordillère des Andes en avion. Et là, c'est le délire : au moins cent mille Argentins sont descendus dans les rues pour la porter en triomphe. L'insolente Adrienne, escortée par la fine fleur de l'aviation sud-américaine, savoure sa revanche sur tous ceux qui avaient prédit son échec. Et moi, je ne me lasse pas de scruter ces photos, qui témoignent que cette histoire-là a bien existé, insensée, téméraire et jubilatoire... 



mercredi 3 avril 2019

Destination : l'inconnu

Après moult péripéties, "La folle équipée d'Adrienne" a enfin entamé son voyage incertain vers les lecteurs. Depuis le 8 mars dernier, mon dernier roman est devenu un livre, un vrai, un qui se feuillette, se renifle, se caresse. Un qui peut s'acheter en librairie.
Sortir un nouveau livre, c'est toujours une bouteille à la mer. On ne sait qui aura la curiosité de l'ouvrir pour déchiffrer les mots glissés à l'intérieur. On sait encore moins comment ces mots-là seront accueillis : avec gourmandise, avec agacement, avec ennui ? On ne maîtrise plus rien, et c'est bien troublant...
Mais on ne peut s'empêcher d'espérer. Espérer qu'il plaise, il va sans dire. Mais un peu plus aussi.

L'histoire d'Adrienne Bolland est un vaccin contre la résignation. Cette jeune femme ébouriffée et ébouriffante a refusé le destin qu'on assignait à son sexe dans les années qui ont suivi la grande Guerre. Elle s'est battue (au figuré, mais aussi au propre, avec ses poings) pour devenir pilote d'avion. Elle n'a pas voulu écouter ceux qui lui prédisaient l'échec quand elle a projeté de traverser la Cordillère des Andes à bord d'un vieux coucou de 1914. Adrienne est drôle, insolente, volontaire, anti-conformiste... Près d'un siècle après son exploit, elle reste d'une modernité incroyable. Si ce petit livre pouvait aider quelques adolescents à croire en leurs rêves, alors, peut-être, ma bouteille à la mer aura rempli son office...

Les déceptions de Fanny

Elle s'appelait Fanny Flis, née Tesler. C'était une femme belle, blonde et élégante. qui faisait de la discrétion la première de tou...